Concert de l'Académie Voix Nouvelles à Royaumont © François Mauger / Royaumont
Concert de l'Académie Voix Nouvelles à Royaumont © François Mauger / Royaumont

Académie Voix Nouvelles I : l’expérimentation musicale

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Comme chaque année, le Festival de Royaumont propose des concerts de qualité que l’on aime venir écouter dans un écrin de verdure et d’acoustique enchanteur. L’abbaye, dressée fièrement au creux des étangs et des forêts, en bordure du Val d’Oise, attire les amoureux de musique qui se pressent le week-end dans tous les espaces du lieu afin de se confronter au meilleur. Pour le 2e week-end du Festival, nous avons rendez-vous avec l’Académie Voix Nouvelles qui a su élargir un horizon esthétique nécessaire.

 

Consacré aux compositeurs lauréats, la première partie de ce concert de l’Académie Voix Nouvelles a permis de mettre en lumière six talents véritablement étonnants parmi les vingt-trois étudiants, trois formateurs et deux ensembles professionnels, composés de treize musiciens, deux solistes et un chef, que compte la formation.
C’est dans la salle des charpentes que nous avons pris place pour écouter la soprano Juliet Fraser, l’ensemble Multilatérale et le Quatuor Tan interpréter les pièces des jeunes compositeurs, sous la direction de Léo Warynski.

Dans Any bed but one’s, travail atypique de Sivan Eldar, la compositrice israélienne donne du relief au poème Drowned Man, de Fiona Sampson. L’œuvre, pour violon, percussion et soprano, a surpris les auditeurs. Les trois interprètes, arrivés par le fond de la salle, nus pieds, ont vibré à l’unisson pour un souffle et un murmure déconcertant. Tout est passé par le besoin d’aller au-delà du son contenu dans une vibration. À l’aide de quelques percussions asiatiques qui résonnaient avec parcimonie, les sensations se sont bousculées à nos oreilles, de l’ambiance anxiogène au calme impétueux. En gardant les paupières closes, nous pouvions nous imprégner et nous égarer dans une atmosphère sensorielle exceptionnelle qui s’est poursuivie avec Shih-Wei Lo et son Glass: Shattered, Shattering pour flûte et violoncelle. À la fois contemplative et méditative, l’œuvre explore les multiples facettes de la cohérence. Les deux musiciennes, face à face, ont instauré un climat quasi anxiogène. Le violoncelle, aux sonorités graves, se marie à la flûte traversière dans un temps sacralisé, devenu solennel, qui se joue des notes, à moins que ce ne soit l’inverse. Le travail, très intéressant du taïwanais, s’appuie sur le lien entre ce que l’on produit et ce que l’on perçoit.

Quand la musique d’Hakki Cengiz Eren est venue poursuivre le concert, nous avons basculé dans un autre aspect de cette recherche constante d’expérimenter le son et les intentions. Attics, œuvre pour soprano et alto, a offert un texte parlé, chuchoté puis des notes tenues qui suivent la ligne de l’instrument. Alternant le chant et les mots criés avec rage, l’exercice, bien que d’apparence simpliste, a su mettre en avant l’accompagnement vocal et musical. D’un style différent, l’australienne Annie Hui-Hsin Hsieh s’est concentrée sur la résonance musicale, et plus particulièrement sur la structure même du piano. Son travail permet d’explorer pleinement l’instrument, aussi bien par les cordes que par les touches. L’interprète gratte, tape, caresse les différents composants, effleure, pince et s’inscrit dans une recherche interminable.

Radius est une radiographie des résonances proposées par les extensions de l’instrument. Avec fluidité et délicatesse, les dialogues se font et se défont pour un formidable moment de plénitude.
Avec Laugh Radish, le morceau de Jonah Haven pour quatuor à cordes, la recherche glisse vers quelque chose qui touche à l’ordre de la croissance, organique et tellurique. C’est particulièrement déstabilisant comme écoute, d’autant plus que le bourdonnement incessant perturbe notre imprégnation musicale. La recherche d’un autre rapport au son et à la production, processus qui n’est pas inné chez l’auditeur, est un risque pris sans modération et propose une véritable composition musicale nouvelle.

Ce fut le cas également avec Bohemian Algae de la russe Tatiana Gerasimenok. L’œuvre, qui est venue clôturer le concert, est construite pour clarinette, contrebasse et soprano. L’entrée des interprètes, vêtus de jupes en aluminium, d’une marche compulsive accompagnée de petits cris, a sorti l’auditoire de sa torpeur. Un bruit à faire grincer les dents de nos aînés, s’échappe du piano, donnant l’illusion d’être au cœur d’une horde d’oiseaux. Au bord du malaise, le sens de la production nous échappe mais nous attire. Le concept, réel état d’esprit, est semblable à une prière désespérée où l’homme grogne comme un animal d’un temps révolu. Et si c’était cela l’expérimentation nouvelle de la musique ? Il était temps d’aller sur des chemins escarpés pour révolutionner un art qui ne cesse de nous stimuler.

Professeur des écoles le jour, je cours les salles de Paris et d'ailleurs le soir afin de combiner ma passion pour le spectacle vivant et l'écriture, tout en trouvant très souvent refuge dans la musique classique. Tombée dans le théâtre dès mon plus jeune âge en parallèle de l'apprentissage du piano, c'est tout naturellement que je me suis tournée vers l'opéra. A travers mes chroniques, je souhaite partager mes émotions sans prétention mais toujours avec sensibilité.

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