Enrique Mazzola © Eric-Garault
Enrique Mazzola © Eric-Garault

La Cenerentola au Théâtre des Champs-Élysées : une direction exaltante

3 minutes de lecture

La fin de la saison du Théâtre des Champs-Elysées fait décidément la part belle au cygne de Pesaro en programmant successivement La Cenerentola, L’Italiana in Algeri ainsi que deux soirées de récitals intitulées « Sacré Rossini ! ». Si la version rossinienne de la Cendrillon de Perrault peut d’abord sembler frustrante par son abandon de tout aspect merveilleux, on y retrouve tout de même toute la mécanique irrésistible des comédies de Rossini, surtout quand elle est menée tambours battants par un chef aussi enthousiasmant qu’Enrique Mazzola.

Cette représentation de concert est en réalité une mise en espace extrêmement réussie. Évidemment pas de décors, mais des déplacements intelligemment réglés et des changements de costumes appropriés donnent ainsi bien plus de vie à cette soirée que certaines versions scéniques. Même Mazzola s’en mêle et reçoit régulièrement les apartés des chanteurs. On soulignera également la contribution très drôle du claveciniste obligé de jouer debout après s’être fait voler son siège par les personnages.

De la distribution se dégage globalement une impression de naturel évident, au-delà des qualités purement techniques et/ou musicales que peuvent avoir chacun des interprètes. Chaque rôle a connu des voix peut-être plus immédiatement brillantes, mais en fin de spectacle, on a garde tout de même le sentiment qu’on vient d’assister, non à une démonstration de chant, mais à une vraie représentation dramatique.

Hasmik Torosyan et Alix Le Saux incarnent les deux vilaines sœurs sans jamais en faire trop. Et on se réjouit d’ailleurs du rétablissement de l’air de Clorinda « Sventurata ! » qui donne enfin un peu d’épaisseur à un personnage pouvant parfois se limiter à une caricature. Luigi de Donato semble quelquefois en lutte avec la justesse et la vocalisation mais il se tire honorablement de l’air « Il mondo è un gran teatro », certainement plus aisé à chanter que le « Là del ciel nell’arcano profondo » plus habituellement entendu à ce moment de la partition. La vocalité et le jeu scénique de Vito Priante respirent le naturel et convainquent absolument dans son interprétation de Dandini.

Peter Kálmán frappe par une vis comica extraordinaire qui va bien au-delà des effets un peu téléphonés propres à ce rôle bouffe. Il trouve constamment un juste équilibre, rendant compte du côté grotesque de Don Magnifico sans oublier qu’il s’agit également d’un personnage tyrannique et parfois terrifiant. Le récit du rêve « Miei rampolli femminini », qui nous semble ordinairement bien long et multipliant les facilités d’écriture, est ici un moment particulièrement savoureux et plein de surprises.

On peut réellement parler d’évidence en ce qui concerne Karine Deshayes. Il est vrai que le rôle est depuis un moment au répertoire de la mezzo et, en dépit de quelques rares problèmes de projection dans certains passages un peu rapides situés dans le bas de son registre, on reste sans voix devant une telle aisance dans l’incarnation. Jamais démonstrative, toujours signifiante, Karine Deshayes sait jouer la carte de la simplicité qui convient bien au personnage de Cendrillon, et explose cependant dans un rondo final qui satisfait pleinement tous les amateurs de roulades vocales.

Nous avouons avoir eu plus de réserves concernant le Ramiro de Cyrille Dubois. Ce merveilleux chanteur a su prouver au cours de ces dernières années quel magnifique musicien il était, et à quel point il pouvait être un interprète idéal dans un certain type de répertoire français (Les Troyens, Les Pêcheurs de perles, Le Domino noir… pour ne citer que quelques-unes de ses récentes incarnations). Hélas, il semble ce soir moins à l’aise que ses partenaires. Le chant n’est pas exempt de certains maniérismes dispensables et son jeu de scène ne fait pas oublier qu’il s’agit là de gestes appris et répétés, là où ses collègues parviennent à donner davantage l’illusion de la spontanéité. Ne boudons cependant pas notre plaisir d’entendre un brillant « Si ritrovarla io giuro » si parfaitement exécuté.

Mais en réalité le vrai moteur de la soirée et ce qui fait le prix de cette représentation, c’est la direction d’Enrique Mazzola qui semble en ce moment avoir bien peu de rivaux sérieux dans le répertoire rossinien. Sous sa direction, l’Orchestre National d’Ile-de-France nous livre une partition précise, enlevée, dynamique, colorée, toujours lisible… et autant d’adjectifs qui peineraient à rendre réellement compte de l’enthousiasme qu’a suscité ce soir le chef ayant tout récemment acquis la nationalité française.

 


La Cenerentola, ossia La bontà in trionfo
Dramma giocoso en 2 actes de Gioacchino Rossini (1817)
Livret de Jacopo Ferretti

Angelina : Karine Deshayes
Don Magnifico : Peter Kálmán
Don Ramiro : Cyrille Dubois
Dandini : Vito Priante
Alidoro : Luigi de Donato
Clorinda : Hasmik Torosyan
Tisbe : Alix Le Saux

Ensemble Aedes
Orchestre National d’Ile-de-France
Direction : Enrique Mazzola

16 juin 2018 au Théâtre des Champs-Élysées

Biberonné à la musique classique dès le plus jeune âge, j’ai découvert l’opéra à l’adolescence. En véritable boulimique passionné, je remplis mon agenda de (trop) nombreux spectacles, tout en essayant de continuer à pratiquer le piano (en amateur). Pour paraphraser Chaplin : « Une journée sans musique est une journée perdue »

Derniers articles de Chronique