Geoffroy Jourdain © Nathaniel Baruch
Geoffroy Jourdain © Nathaniel Baruch

Conversation avec Geoffroy Jourdain

3 minutes de lecture

Vous avez eu la chance de travailler dans des magnifiques archives comme celles du Vatican et de l’abbaye de Royaumont. Comment ces expériences de recherche ont influencé vos choix de répertoire ?
Pour moi il est très important de m’informer avant d’aborder un répertoire, une découverte peut effectivement en être à l’origine : on contextualise et on tire d’autres fils qui donnent du sens et inspirent des idées de spectacle.
Au Vatican j’ai recopié beaucoup de partitions très intéressantes du point de vue musical, mais aussi par rapport aux questions esthétiques et morales qu’elles soulèvent. J’attendais donc de trouver la bonne formule pour faire entendre ces musiques.


Vous collaborez avec des metteurs en scène, des vidéastes, des chorégraphes et des plasticiens, qu’est-ce qui vous apporte cette ouverture sur d’autres arts ?
Je pense que le concert en soi n’est pas toujours un objet artistique et n’est pas forcément fini. J’essaye de faire en sorte qu’un concert soit un spectacle qui tient debout aussi visuellement et j’avoue que j’ai de moins en moins envie de faire des concerts « traditionnels », avec un rapport frontal avec le public.
Si la musique a bien évidemment une valeur artistique en elle-même, il est également vrai que certaines oeuvres portent en soi la nécessité de la spatialisation, comme le Spem in Alium de Thomas Tallis.
Autrement c’est un peu comme l’opéra en version de concert : il lui manquera toujours quelque chose.
N’oublions pas aussi que le rite du concert est un rite social de notre temps et que, de toute façon, un certain répertoire est décontextualisé.

A Ambronay vous avez présenté des oeuvres polychorales telles le célèbre Spem in alium à 40 voix de Thomas Tallis et le Deo Gratias à 36 voix de Johannes Ockeghem : quelle est la genèse des vos Polyphonies Spatialisées ?
Je voulais faire ces pièces depuis longtemps et je réfléchissais à une solution pour que le public aurait pu être entouré par le son, sans voir comment ça se passe.
Comme à la Renaissance musique et architecture étaient en lien étroit, l’idée était de créer une cathédrale sonore où la musique sert les lieux et vice-versa, d’ici la nécessité de les spatialiser.
J’ai déjà vu des spatialisations, avec un chef au milieu en position élevée ou avec plusieurs chefs, mais c’est dommage car on perd le mystère de l’origine des sons. Je souhaite plonger les gens dans une écoute qui porte en elle-même les mystères de cette musique.


Dans le programme il y a également des œuvres contemporaines qui permettent de faire écho à ces questions de spatialisation.
Oui, j’ai ajouté des oeuvres de deux compositeurs contemporains : Mouyayoum – muo:aa:yiy:oum du suédois Anders Hillborg et une commande à Aurélien Dumont, créée à l’Abbaye de Noirlac, dont les thèmes sont la fuite du temps et la mémoire de l’auditeur. Dans Tempus fugit, toucher d’ombre, Dumont a eu l’idée d’intégrer des réminiscences du Spem in Alium, du coup en l’écoutant après, on peut percevoir une érosion du temps et de la matière sonore.


Quels défis techniques avez vu rencontré pour la mise en espace?
J’ai dirigé le concert face une caméra liée à des écrans distribués dans l’Abbaye qui ont permis aux chanteurs de suivre ma direction. Comme les voix sont réparties dans l’espace les sensations sonores de justesse sont différentes et il faut les accepter.
Les chanteurs, très espacés les uns des autres, doivent donc faire confiance dans la battue et pas dans la réverbération.
Ce n’est pas évident, mais quel bonheur d’arriver à le faire !

Comment se déroule le passage de l’interprétation du répertoire baroque, qui demande de la recherche et des choix d’interprétation, au contemporain, où vous pouvez travailler directement avec le compositeur ?
Aller d’un répertoire à l’autre est très intéressant et il ne faut pas oublier que chaque musique a été un jour contemporaine.
Aujourd’hui les compositeurs donnent beaucoup plus d’informations dans la notation que dans le passé, mais il y a toujours un grand bouleversement quand un compositeur arrive pour travailler avec nous sa pièce. Malgré les indications on n’est jamais sûrs de rien et faut beaucoup creuser, il faut arriver à comprendre ce que le compositeur a dans la tête, la notation n’étant qu’un outil.
Quand le compositeur sait ce qu’il veut ça devient très passionnant et les résultats qu’on obtient avec ses indications sont toujours très convaincants.


Quels sont vos prochains engagements ?
Après le programme L’homme armé, qui alterne les premiers mouvements  de la Missa super l’homme armé du jeune compositeur italien Francesco Filidei, où les chanteurs sont équipés de gilets parre-balles et d’armes, et la Missa l’homme armé sexti toni de Josquin Desprez, à Strasbourg et à Paris, nous partirons en tournée au Mexique avec Benjamin Lazar pour Memento Mori et La Sodomie dans la nouvelle Espagne.

Ensuite, avec l’orchestre Les Siècles, nous ferons Israël en Égypte de Händel, une oeuvre que j’aime beaucoup où le chœur en est le moteur; puis ce sera Les Orphelines de Venise, des œuvres chorales du XVIIe et XVIIe siècles adaptées pour voix féminines, un projet autour de ces orphelines qui ont été les premières interprètes de ce répertoire.

 

Parallèlement à sa formation en chant lyrique, Cinzia Rota fréquente l'Académie des Beaux-Arts puis se spécialise en communication du patrimoine culturel à l'École polytechnique de Milan. En 2014 elle fonde Classicagenda, afin de promouvoir la musique classique et l'ouvrir à de nouveaux publics. Elle est membre de la Presse Musicale Internationale.

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