Thierry Escaich © Hughes Laborde
Thierry Escaich © Hughes Laborde

Conversation avec le compositeur Thierry Escaich

6 minutes de lecture

Qu’est-ce que vous avez pensé quand on vous a proposé de composer une pièce pour violoncelle et danseur de claquettes ?
Quand Michel Strauss m’a proposé cette pièce j’ai pensé que c’était l’opportunité de travailler sur un type de musique de chambre que je n’avais jamais expérimenté.

J’ai commencé par prendre en compte le danseur de claquettes en tant que « percussion vivante », j’ai donc écrit sa part comme celle d’un percussionniste, même si normalement il n’y a pas un seul interprète, mais plusieurs percussionnistes à la fois.

Pour ce duo, j’ai essayé d’utiliser les différentes facettes du danseur et ses possibilités expressives : le danseur peut souligner des événements qui se passent au violoncelle avec la danse, l’accompagner ou se faire accompagner, il peut être moteur de la pièce ou encore les deux instruments peuvent se mélanger.


Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez dû faire face en l’écrivant ? Je pense notamment à la notation de la partie pour le danseur.
C’est la première fois que j’écris ce type de composition parce qu’il y a très peu de danseurs de claquettes qui puissent lire une partition.

Max Pollak est une exception et cela a beaucoup simplifié notre collaboration, parce que, comme je viens d’écrire la musique, il n’existe pas encore d’enregistrement.
J’aurais sûrement pu trouver le moyen de lui expliquer sa part à l’oral, mais ça aurait été difficile pour lui de se produire sur scène sans pouvoir lire sa part et suivre le violoncelle.

J’ai choisi de composer une pièce courte, une variation sur le thème de La Folia : cette solution est très intéressante pour le public qui peut retrouver les contours d’un thème qui revient régulièrement.
La part du danseur est écrite comme celle d’un percussionniste, mais sur trois lignes qui correspondent aux pieds, au corps et aux mains et tout ce qui est au-dessus, comme la bouche, qui émet des sons et des sifflements.
Max Pollack est un artiste multiple, il peut jouer avec les pieds, les bras et les mains tout en faisant des sons avec la bouche, en arrivant même à orner le thème en sifflant.
Ce projet a quelque chose d’inattendu parce que d’habitude quand je compose une pièce, je sais comment elle sonnera. Cette fois il y a un côté « surprise » par rapport à ce que j’ai imaginé et des choses que je découvrirai à l’exécution.

Serez-vous présent à la création de votre œuvre ?
Je serai au festival de musique de chambre de Giverny à partir de jeudi 28 juillet, où ma pièce Lettres mêlées pour cello, violon et piano sera jouée.
Ce sera l’occasion de participer à la répétition de Max Pollak et de Michel Strauss et d’écouter pour la première fois ma Création pour violoncelle et danseur de claquettes, qui sera jouée le lendemain avec mon Chorus pour quatuor à cordes, piano et clarinette.


Vous aimez beaucoup l’improvisation. Est-ce que vous avez laissé de l’espace au danseur pour s’exprimer dans ce sens ?
J’ai laissé à Max Pollak une certaine latitude de réalisation, comme c’est le cas pour les percussionnistes dans un orchestre. Pour moi cette collaboration est avant tout un dialogue et je suis ouvert à ses propositions, par exemple dans Sopra la folia tout est écrit, sauf à la fin où je lui laisse la possibilité de faire sa propre adaptation d’un rythme que je lui ai proposé.

Il y a aussi d’autres moments de « liberté » pour le danseur, par exemple dans les rythmes très rapides c’est lui qui décide si utiliser le pied droit ou le gauche. Cela est important car il y a aussi des questions d’équilibre à prendre en compte et c’est mieux que ce soit à lui de décider.


Vous avez composé des tangos, la musique pour le ballet The lost dancer et aujourd’hui une pièce pour danseur de claquettes. Quel est votre rapport avec la danse ?
Quand j’étais enfant j’ai commencé à jouer de l’accordéon, cela m’a permis de faire l’expérience de la danse populaire en accompagnant des bals populaires.
J’ai été bercé aux mouvements du corps et je les ressens, j’ai donc un rapport assez naturel avec la danse.
La musique signifie le mouvement du corps et le corps participe au mouvement de la musique.

Ce que j’écris est basé sur mon énergie à toutes les secondes de la musique, du coup ça se prête particulièrement à cette expression artistique.


Effectivement votre façon de composer se base sur cette énergie, ce souffle.
Est-ce que ça peut se comparer au « courant de conscience », cette technique littéraire utilisée par les écrivains modernistes, comme James Joyce et Virginia Woolf ?
Je ne réfléchis pas à une œuvre comme quelque chose de séparé. J’ai un flux continu de musique qui s’écoule et qui ensuite sort dans la forme qui m’est proposée.
C’est une improvisation qui prend une forme pour être perceptible à d’autres personnes.

Je me sens proche de compositeurs baroques comme Handel. Dans ses oeuvres on perçoit une sorte de flux qui passe d’une pièce à l’autre, sans rupture, avec un fil conducteur.
S’il y a des ruptures cela se fait au fil des années, en se déformant petit à petit jusqu’à se rompre.

Une pièce c’est comme une photo d’un état psychologique ou mental à un certain moment donné.


Vous êtes passionné de cinéma muet que vous avez l’habitude d’accompagner à l’orgue ou au piano. Est-ce qu’il y a quelque chose qui reste de ces improvisations : des thèmes ou des rythmes associés à certaines séquences de ces films ?
Il y a des films que je suis amené à accompagner souvent, surtout les grands classiques comme l’Aurore de Friedrich Wilhelm Murnau, Metropolis de Fritz Lang et le Fantôme de l’opéra de Rupert Julian.
Effectivement il y a des choses qui restent, l’ossature globale ne change pas et, quand des thématique s’imposent, elles ne bougent plus. Puis, je vous avoue que, à la vingtième fois, la musique devient presque écrite.


Est-ce que ces improvisations vous donnent de l’inspiration pour vos futures compositions ?
Si l’univers des cinéastes est très riche comme dans Metropolis, c’est évident que ça donne des idées de compositions. J’aime beaucoup ce type de performance, car c’est une source de changement et ça m’oblige à me dépasser.


Une des vos sources d’inspiration est le cinéma, quelles sont les autres formes d’art qui vous inspirent ?
Je m’inspire de la littérature, de la poésie. J’aime beaucoup Baudelaire et Hugo, mais aussi les écrivains contemporains. Je dirais que c’est surtout la poésie, le cinéma et d’autres musiques qui m’inspirent, comme le jazz.
J’ai aussi composé des chansons pour Jean Guidoni sur des poèmes de Jacques Prévert, ces expériences me permettent de découvrir de nouvelles voies.


Dans une interview vous avez affirmé que « une composition doit sonner comme une improvisation ». Que voulez-vous dire par cela ?
Une improvisation ne devient pas une composition car je ne la transcris pas.
Toutefois je pense que la composition doit garder un flux d’écoulement comme dans l’improvisation, du coup la pièce peut paraître improvisée sans pourtant l’être. Je pense notamment à la fugue à six voix de Bach qui a l’énergie d’une danse et sonne comme une improvisation de l’époque.
Il est possible de perdre ce flux pour quelque chose de plus complexe, mais je cherche à le garder.


Est-ce que le public le ressent ?
Oui, le public perçoit quelque chose qui s’écoule naturellement.


Cette approche peut donc permettre à un public non initié de s’approcher plus facilement de la musique contemporaine.
Exactement. Je pense qu’il faut faire de la musique d’aujourd’hui, mais qui puisse être écoutée et comprise, pour que les mélomanes ne se sentent pas exclus.
Je cherche donc à l’enseigner à mes étudiants, en les guidant dans la recherche d’une évidence du discours musical. Ils en sont contents, car ils ne veulent pas une musique complexe qui nécessite 4-5 écoutes pour être comprise. Nous essayons de témoigner d’un état émotionnel et de faire passer un message.


Quels sont vos projets ?
Je viens de terminer un concerto de violoncelle pour Emmanuelle Bertrand qu’elle créera en novembre au théâtre de Rouen avec l’orchestre de Rouen.
Ensuite je suis en train de travailler sur un concerto pour orchestre pour l’ouverture de la Philharmonie de Paris, qui sera joué en janvier par l’Orchestre de Paris.

 

Parallèlement à sa formation en chant lyrique, Cinzia Rota fréquente l'Académie des Beaux-Arts puis se spécialise en communication du patrimoine culturel à l'École polytechnique de Milan. En 2014 elle fonde Classicagenda, afin de promouvoir la musique classique et l'ouvrir à de nouveaux publics. Elle est membre de la Presse Musicale Internationale.

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