Françoise Levéchin-Gangloff : le solfège, clé de voûte de la liberté musicale
Titulaire de l’orgue de l’église Saint-Roch à Paris, Françoise Levéchin-Gangloff a transmis aux étudiants musiciens le goût de la formation musicale […]
Les couloirs du métro parisien se sont subitement remplis d’une photographie noir et blanc d’un jeune homme austère, en bras d’une chemise trop grande sur des épaules tombantes, le nœud de cravate un peu lâche, les cheveux épars sur un front haut, doté d’un visage qui n’a rien de symétrique – une narine semble le double de l’autre, le regard sombre émerge sous des arcades qui ne se ressemblent pas. Derrière lui, des murs en moquette, des boutons et des branchements archaïques qui rappellent les premiers épisodes de Mission: Impossible. Sur cette photographie, deux lignes :
STOCK-
HAUSEN
Si vous n’aviez pas peur de la musique classique jusqu’à maintenant, c’est peut-être chose faite, se dit-on en attendant son métro matinal. Les yeux à demi-ouverts, on s’interroge cependant. La photo ne se veut pas séduisante, mais le regard est profondément déterminé. Et plus de cinquante ans après, il happe celui du passant innocent. Au-dessus d’une moue laissant se former une légère fossette d’insatisfaction, les sourcils se froncent et les grands yeux fixent l’objectif. On ne peut rester indifférent.
Peut-être est-ce ainsi qu’il faut parler de Stockhausen. On aurait difficilement imaginé vendre un « Week-end Stockhausen » autrement qu’en assumant l’austérité superficielle de l’événement. Austérité superficielle d’un tel week-end, comme austérité superficielle de son visage, comme austérité superficielle de sa musique. La Philharmonie de Paris ne propose rien à la légère. Il a beau ouvrir devant les passants du métro une porte béante vers la musique contemporaine – cette porte qui nous semble si souvent verrouillée à double tour – le week-end Stockhausen ne cherche pas à se faire passer pour autre chose qu’un cycle de réflexion et de compréhension sur un compositeur allemand sériel (ou quasiment) de la seconde moitié du XXe siècle. Vienne qui voudra – le regard de Karlheinz Stockhausen sert dans l’affiche à capter l’attention de tous ceux que l’on pourra convaincre avec autre chose que des mots.
Stockhausen, 1974 © Archive of the Stockhausen Foundation for Music, Kürten, Germany (www.karlheinzstockhausen.org)
« Ennui » – « néant » – « cassé » – sont les trois premiers mots qui résonnent à la Philharmonie dans ce beau dernier dimanche de janvier. Ce sont les trois premiers mots qui émergent du public interloqué après l’écoute des Klavierstücke au café-musique d’Arnaud Merlin (cf. l’article de Christophe Dilys). C’est bien la preuve que ceux qui se sont déplacés jusqu’à la Villette avaient encore du chemin à parcourir. Mais le voyage s’annonce intéressant car les voies sont riches. Comprendre Stockhausen par les mots (conférences), par le dialogue (café-concert), par la découverte (concert-promenade), par le rite culturel (concerts du soir, avec toute leur pompe), par la confrontation musicale (concerts de l’après-midi, dans l’anonymat et le silence). Toutes les formes sont exploitées : celles du langage, le cours magistral et la maïeutique ; celles de l’art, la communion et l’introspection. Plusieurs étapes, plusieurs chemins vers la même psychanalyse : celle qu’impose finalement Stockhausen en libérant l’auditeur des codes du spectacle. La pureté de l’expérience musicale, privée de ses approximations humaines (de la tourne de pages à l’interprétation du chef d’orchestre, de la tonalité à la gestion du temps, qui disparaissent les unes comme les autres de l’univers du compositeur), place l’auditeur en son centre : la performance est du côté du public. C’est à soi de faire le chemin artistique, et de donner un sens à ce que l’on entend.
Pour le concert « Tokyo 1966 », qui regroupe des œuvres créées là-bas cette année-là, on assiste à Telemusik, qui mêle à des sons électroniques purs des « objets historiquement préformés », selon les mots du compositeur. Mais la différence n’est pas tant dans la forme du son : électroniques ou acoustiques, les bruits évoquent à l’auditeur des choses connues. On se laisse porter dans des connotations et des images que l’on a à peine le temps d’imprimer. L’auditeur crée son expérience artistique, la performance est dans sa propre tête.
Stockhausen, 1972 © Archive of the Stockhausen Foundation for Music, Kürten, Germany (www.karlheinzstockhausen.org)
C’est bien à l’auditeur de parcourir le chemin que lui ouvre Stockhausen. Le compositeur nous propose une musique qui ne nous laisse pas le choix de la passivité. Est-ce compliqué ? Est-ce dangereux ? Un « cycle Stockhausen » ne peut pas non plus s’envisager dans la passivité. Les arts élitistes dont nous parlons ici oublient souvent, pour se démocratiser, que l’expérience artistique naît d’une décision. Chez Stockhausen, c’est manifeste. Rendre Stockhausen trop attrayant, choisir la facilité du discours, c’est rendre l’auditeur passif, et donc incapable de parcourir le chemin pourtant verdoyant qui le conduit à sa musique. Un chemin qui, s’il n’est pas abordé avec résolution, apparaîtra comme bien trop escarpé – face à la passivité si facile dans laquelle nous élevons nos nouveaux publics.
Nous devons susciter en chacun la volonté d’entreprendre une quête dynamique. Et c’est bien ce qu’a fait, en plein milieu de son austère affiche, le regard de Stockhausen.
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