Photo © Jean-François Leclercq / OnP

Jour de fête à l’Opéra de Paris

4 minutes de lecture

Le 21 juin est supposément le premier jour de l’été. Mais apparemment cette année, personne n’en a informé la météo. Qu’à cela ne tienne, le 21 juin est également le jour désormais consacré à la Fête de la musique. L’Opéra de Paris sacrifie donc à cette célébration festive et nous offre, au sein de la grande salle de la Bastille, un concert lyrique annoncé comme « exceptionnel ». Rien que ça ! Le concert est gratuit (il fallait tout de même réserver) et relativement court, si l’on en croit le programme. J’ai donc répandu la nouvelle dans mon entourage, réussissant même à évangéliser quelques novices pour qui ce sera donc la première fois à l’opéra !

Le programme sied bien à une initiation en douceur pour qui réalise son baptême lyrique : construit autour du répertoire des trois chanteurs solistes, le récital s’articule exclusivement sur le XIXe siècle français et italien. On aura donc droit aux principaux tubes de Verdi, Bizet, Puccini, Saint-Saëns et Bellini. Côté solistes, on retrouve les trois chanteurs principaux de la production d’Aida* qui a lieu en ce moment sur cette même scène de Bastille : Sondra Radvanovsky, Anita Rachvelishvili et Aleksandrs Antonenko.

Le concert s’ouvre sur l’ouverture de La Forza del Destino (où les cinéphiles reconnaîtront le thème du Manon des sources de Claude Berri). Le choix n’est pas vraiment audacieux — on ne compte plus les récitals s’ouvrant sur cette pièce, quand il ne s’agit pas de l’ouverture du Barbier de Séville de Rossini  — mais efficace. Pourtant, Verdi n’est peut-être pas le répertoire qui met le mieux en valeur l’art du chef d’orchestre Philippe Jordan. Certes, il y montre, comme à son habitude, une grande attention aux équilibres sonores et à la clarté des différents pupitres, mais Verdi semble moins l’inspirer que le répertoire allemand (on se souvient de ses Wagner et de ses Strauss passionnants). L’ardeur avec laquelle il conduit cette Force du Destin est enthousiasmante, l’extrait d’Il Trovatore permet de mettre en valeur les belles forces chorales de l’Opéra de Paris, mais le chœur des esclaves de Nabucco peine à décoller, dirigé un peu trop précautionneusement.

C’est sans conteste Sondra Radvanovsky qui met K.O. ses partenaires au combat de l’applaudimètre. La chanteuse américaine met la salle à ses pieds en seulement trois airs issus de Tosca, Aida et Norma, ouvrages qu’elle connaît bien. Timbre chaleureux, voix ample et puissante qui remplit le grand vaisseau de Bastille sans la moindre peine, mais capable de s’alléger dans de formidables pianissimi filés dans l’aigu (Ah, ce contre-ut dans l’air du Nil ! Quelle merveille !)… les nombreux atouts de Radvanovsky lui valent un triomphe à chacun de ses passages.

À ses côtés, la mezzo géorgienne Anita Rachvelishvili impressionne également. Révélée en 2009 dans une Carmen scaligère, elle a depuis incarné la bohémienne sur la plupart des grandes scènes internationales, et la chantera d’ailleurs sur cette même scène en juin 2017. Dans un français parfaitement intelligible, elle chante la Habanera avec facilité, coquette et presque trop sage dans le premier couplet, déjà plus aguicheuse dans le second. Rachvelishvili sera également à Bastille en octobre prochain pour une Dalila dont elle nous livre ici deux mises en bouche. Elle est dangereuse et venimeuse dans Amour ! Viens aider ma faiblesse, charmeuse et séductrice dans Mon cœur s’ouvre à ta voix. La prestation de ce soir donne définitivement envie de courir l’entendre dans le rôle complet.

D’ailleurs, elle y retrouvera le ténor Aleksandrs Antonenko, qui sera son Samson. Hélas, le chanteur letton n’est malheureusement pas en forme comme ses deux partenaires. Après un E lucevan le stelle tout en force mais sans charme, il délivre un air de la fleur pénible à supporter, dont les notes systématiquement prises par en-dessous frôlent la fausseté dans le registre aigu. Il prive le texte de consonnes, le rendant impossible à comprendre. Déjà incapable dans Aida* de terminer son air d’entrée par le pianissimo indiqué sur la partition, il récidive ce soir dans Carmen et esquive le pianissimo de la montée sur les mots « et j’étais une chose à toi ». Choix artistique délibéré ou manifestation d’une véritable limite technique ? Je me pose la question.

Aussi sûrement que la Force du Destin est un poncif de début de récital, le brindisi de la Traviata est un classique de morceau conclusif. Sans surprise, c’est armés de coupes de champagne que les trois chanteurs viennent entonner ce célèbre toast, prétexte à quelques facéties de la part des artistes. Ce moment est curieusement le seul où les trois chanteurs seront réunis, puisque le programme n’aura comporté aucun duo, ni trio — malgré l’intervention du ténor dans « Mon cœur s’ouvre à ta voix », mais peut-on vraiment parler de duo ?

Le public, conquis, ovationne debout les artistes et réclame un bis. On reprend donc gaiement le brindisi. Ce (trop) court récital se termine dans une humeur joyeuse. Un de mes amis néophytes me fait part de son envie de retourner bientôt à l’opéra voir une œuvre complète. Mission accomplie donc pour l’Opéra de Paris qui attire peut-être un nouveau public d’amateurs !

 


* Les représentations d’Aida ont lieu à Bastille jusqu’au 16 juillet prochain.

 

Concert lyrique exceptionnel
14 juin 2016 Opéra Bastille, Paris

Sondra Radvanovsky, soprano
Anita Rachvelishvili, mezzo-soprano
Aleksandrs Antonenko, ténor

Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Paris
Direction musicale – Philippe Jordan
Chef des Choeurs – José Luis Basso

Programme :

Giuseppe Verdi
La Forza del destino : Ouverture
Giacomo Puccini
Tosca : « E lucevan le stelle », « Vissi d’arte »
Camille Saint-Saëns
Samson et Dalila : « Amour! viens aider ma faiblesse! »
Giuseppe Verdi
Il Trovatore : « Vedi! Le fosche notturne spoglie »
Georges Bizet
Carmen : « L’amour est un oiseau rebelle », « La fleur que tu m’avais jetée »
Camille Saint-Saëns
Samson et Dalila : « Mon cœur s’ouvre à ta voix »
Giuseppe Verdi
Aida : « O Patria mia »
Nabucco : « Va’ pensiero »
Vincenzo Bellini
Norma : « Casta diva »
Giuseppe Verdi
La Traviata : « Libiam ne’ lieti calici »

 

Biberonné à la musique classique dès le plus jeune âge, j’ai découvert l’opéra à l’adolescence. En véritable boulimique passionné, je remplis mon agenda de (trop) nombreux spectacles, tout en essayant de continuer à pratiquer le piano (en amateur). Pour paraphraser Chaplin : « Une journée sans musique est une journée perdue »

Derniers articles de Chronique