El Guitarrero © Frivolités Parisiennes

Le Guitarrero, un opéra-comique de la Restauration sort de l’oubli

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Entreprise réussie pour la compagnie des Frivolités parisiennes : Le Guitarrero (1841) de Scribe et Halévy réapparaît avec succès au répertoire des théâtres parisiens.

Créé au Théâtre de l’Opéra-Comique le 21 janvier 1841, Le Guitarrero est loin d’être la seule ou la première œuvre née de la collaboration entre le compositeur Eugène Scribe (1791-1861) et le compositeur Jacques-Fromental-Élie Halévy (1799-1862). Moins connue que l’association entre Scribe et Auber, riche de vingt-huit opéras-comiques, huit opéras et deux ballets, la collaboration entre le plus célèbre librettiste français du XIXe siècle et Halévy a donné naissance à pas moins de six opéras-comiques, cinq opéras et un ballet, à savoir le ballet Manon Lescaut (1830), les opéras La Juive (1835), Guido et Ginevra (1838), Le Drapier (1840), Le Juif errant (1852) et l’opéra italien La Tempesta (1850), ainsi que les opéras-comiques Les Treize (1839), Le Shériff (1839), Le Guitarrero (1841), La Fée aux roses (1849), La Dame de Pique (1850) et Le Nabab (1853).

La création du Guitarrero est saluée par la critique. Dans la Revue et Gazette musicale de Paris du 24 janvier 1841, Henri Blanchard écrit à propos du librettiste que le public « a fort bien reçu sa pièce, confectionnée, comme toutes celles que fait M. Scribe, avec beaucoup d’adresse et d’entente de la scène », et ajoute à propos d’Halévy que la musique qu’il « a brodée sur ce brillant canevas est comme celle que nous sommes habitués à entendre de cet habile compositeur, neuve, élégante, distinguée, inspirée. » Le même jour, Escudier estime dans La France musicale que le librettiste s’est largement inspiré de Ruy Blas de Victor Hugo, mais que cela n’empêche pas son livret d’être « plein d’intérêt, agréablement écrit, parfaitement coupé pour la musique. » Il note de même que le compositeur « a travaillé longuement et sérieusement ; il a voulu se montrer avec toute sa force, avec tous ses moyens, et, nous devons le dire, parce que c’est la vérité, il a produit une belle composition, qui aura surtout du succès parmi les artistes et les connaisseurs. »

Le Guitarrero © Frivolités Parisiennes
Le Guitarrero © Frivolités Parisiennes

Nous partageons l’enthousiasme de Blanchard et d’Escudier pour cet opéra-comique, et il faut saluer le travail entrepris actuellement par la compagnie des Frivolités parisiennes afin de réhabiliter certaines œuvres qui ont depuis longtemps disparu du répertoire de l’opéra-comique, alors qu’elles jouissaient d’une grande popularité au XIXe siècle, non seulement en France, mais aussi à l’échelle européenne. L’année même de sa création, Le Guitarrero fut ainsi repris en français à Bruxelles, ainsi qu’en allemand à Cassel et Berlin. Lors de son long séjour à Paris entre 1839 et 1842, le jeune Richard Wagner réalisa par ailleurs, à la demande de l’éditeur Maurice Schlesinger, un arrangement pour plusieurs instruments (WWV 46D) basé sur la musique du Guitarrero.

Les huit chanteurs solistes qui ont donné le 13 avril 2015 une représentation du Guitarrero au Théâtre de la Porte Saint-Martin ont su surmonter avec brio l’une des principales difficultés rencontrées par tous les interprètes du répertoire de l’opéra-comique, à savoir être à la fois bon acteur et bon chanteur, être convainquant aussi bien dans les dialogues parlés que dans les airs et les ensembles vocaux. Si la partition d’Halévy ne présente pas de chœurs, elle est cependant riche en ensembles vocaux, en particulier dans les finales d’acte avec un octuor à la fin des premier et troisième actes, et un septuor à la fin du deuxième. La distribution est bien équilibrée et a été soigneusement préparée : aucun rôle ne laisse à désirer au niveau des moyens vocaux ou de l’interprétation.

Si les décors sont très dépouillés, probablement pour des raisons budgétaires, les costumes sont inspirés des modèles vestimentaires européens de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle, et se distinguent par leurs couleurs vives. Notons que les spectateurs ont pu admirer à l’entracte un bal costumé dans une salle annexe. Outre les chanteurs, Alexandra Cravero, la chef d’orchestre, a dirigé de manière alerte, précise et nuancée les vingt-cinq instrumentistes, dont la moyenne d’âge semble être d’une trentaine d’années seulement, mais dont la professionnalité et les compétences ne sauraient être mises en doute.

Le Guitarrero © Frivolités Parisiennes
Le Guitarrero © Frivolités Parisiennes

Quelques libertés ont été prises avec l’œuvre originale. L’ouverture est remplacée au début de l’opéra-comique par un prologue dans lequel un récitant, accompagné d’un violoniste et de quelques figurants, synthétise de manière humoristique et assez efficace les longs dialogues parlés de la première scène de l’acte I. Ce récitant réapparaît au début et à la fin de l’acte III. Pierre Girod, le « directeur du chant », reconnaît dans le programme du spectacle que certaines vocalises ont été réécrites « pour s’assurer de la transposition des effets expressifs désirés dans une incarnation actuelle et une technique vocale moderne. » Enfin, la chute du rideau placée avant l’octuor final de l’acte III a permis de créer une complicité avec le public, surpris par le morceau à venir, qui a rappelé à plusieurs reprises les interprètes pour un succès amplement mérité.

 


Le Guitarrero (1841)
d’Eugène Scribe et Jacques-Fromental-Élie Halévy

Théâtre de la Porte Saint-Martin, dimanche 14 juin 2015

Distribution :

José Riccardo, Marc Larcher
Doña Zarah, Julie Robard-Gendre
Doña Manuela, Eva Gruber
Don Lorenzo, Olivier Hernandez
Don Alvaro de Zuniga, Jacques Calatayud
Martin de Ximena, Laurent Herbaut
Fabio & Prologue, Julien Clément
Ottavio, Emilien Marion

Mise en scène, Vincent Tavernier
Scénographie, Claire Niquet
Costumes / maquillage, Erick Plaza-Cochet
Création lumière, Carlos Perez

Direction musicale, Alexandra Cravero
Direction du chant, Pierre Girod
Pianiste accompagnateur, Juliette Sabbah

Orchestre des Frivolités parisiennes

 

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