Mon Premier Lac des Cygnes : Karl Paquette transmet la passion du ballet
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C’est alors que j’entendis distinctement les clarinettes se détacher de l’orchestre. Et avec elles, l’évidence d’une femme qui aime obstinément et immensément celui qui l’a trahie. Le souffle brisé sur l’anche sortait velouté, en glissades ondulantes comme la rage muée en tendresse, comme la caresse que ne sait que rendre la femme offensée. Ces clarinettes, je ne les avais jamais si bien discernées, l’orchestre se montrant le plus souvent discret dans cet air de vocalises virtuoses, écrit pour faire briller l’éclat d’une cantatrice aimée. Ce soir de générale en version de concert, la baguette de Sir Georg Solti nous donnait à entendre, sans un jeu de scène de l’intéressée, l’évidence d’une Donne Elvire caressant dans le secret de sa chapelle le souvenir de l’âme ingrate.
Dix-huit ans plus tard, je garde d’abord le souvenir des premiers accords de ré mineur dont les menaçants échos ont tout à coup rempli le Palais Garnier tout juste refait à neuf et m’ont envahie, effaçant l’incrédulité qui m’avait accompagnée jusqu’à ce fauteuil d’orchestre. Quelques heures avant, un ami avait appelé au bureau et m’avait fait passer ce message urgent en pleine réunion : ce soir, Garnier, Solti, Don Juan ? Un signe de tête (così, così) à mon messager pour dire oui, en oubliant les obstacles qui m’empêchaient techniquement d’y être à l’heure, il faudrait bien se débrouiller. Négocier une corvée avec une collègue, partir en courant, troquer la voiture contre le métro, rejoindre Garnier, entrer dans la salle sans en remarquer les nouveautés — n’était-ce pas le propre de cette rénovation que d’être faite quasiment à l’identique ?, s’asseoir et ne pas réaliser qu’on y est. Tout à coup, c’est l’accord de ré qui a fait que j’étais là, plus que le métro qui m’y avait amenée, plus que le billet qui m’avait fait entrer, plus que le fauteuil qui me permettait de voir Sir Georg Solti — je ne l’avais jamais vu « en vrai » — habillé à cette générale comme pour le concert, alors que les musiciens de l’Orchestre de l’Opéra et les chanteurs étaient en costume de ville.
Mon souvenir visuel est très flou, même celui de Solti, je l’avoue, même les chanteurs, leur souffle, leurs jeux de scène étouffés, leur jeu d’acteur suggéré d’un balancement d’échine, d’un coup de menton appuyé ou d’un bref mouvement de bras. Ce qui reste ? Les yeux fermés, je réentends chaque note et je ressens mon frisson: mais oui, c’est bien ça, les gammes inquiétantes montent et descendent, emmènent Don Juan deux pas vers l’enfer et le ramènent un pas vers les hommes, j’y suis, je ne rêve pas ! Mais oui, ce sont les bassons de Leporello : on le voit courber l’échine, admirer son maître, le haïr et le craindre — l’aimer, en un mot. Renée Fleming était cette très belle Donna Anna, mais ce dont je me souviens d’elle, c’est qu’à travers les vocalises de l’obsession de vengeance, les cuivres nous racontaient l’effroi de la perte de l’amant devenu meurtrier. Joan Rodgers ne m’a guère laissé de souvenir et de sa Donne Elvire il ne me reste que les clarinettes… mais quelles clarinettes : à travers elles, ce soir-là, j’ai compris Donne Elvire, son amour, sa rage, son pardon.
De ce Don Giovanni mythique, comme si j’avais fermé les yeux toute la représentation, je ne garde que les notes, les phrases, toutes les notes, toutes les phrases. Comme une tirade si familière entendue des centaines, des milliers de fois peut-être, redécouverte à chaque mesure tant l’équilibre entre les instruments et leur dialogue étaient limpides, clairs, transparents. La partition, cet austère conducteur, était ouverte devant moi et j’ai compris alors que ces notes et ces phrases connues par cœur, au cœur de moi-même, Solti ne les interprétait pas, il les écrivait lui-même.
Don Giovanni, de Wolfgang Amadeus Mozart, sous la direction de Sir Georg Solti.
Générale du concert de réouverture du Palais Garnier, Paris, 28 février 1996.
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