Métaclassique, une émission animée par David Christoffel
Métaclassique, une émission animée par David Christoffel
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Métaclassique : Attaquer

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C’est nouveau ! A partir du mois de septembre, Classicagenda vous propose de découvrir une sélection d’épisodes de l’émission de radio « Métaclassique, la musique classique et au-delà ». Produite et réalisée par David Christoffel, elle propose d’explorer la musique classique d’une façon inédite : en partant d’un thème (un verbe : attaquer, attendre, superposer, dramatiser, enchanter…) et durant une heure, musicologues et praticiens apportent leur éclairage. Pour les novices, l’émission permet aussi de se livrer à une écoute poétique de la musique tout en découvrant le grand répertoire. En matière de musique classique, la vulgarisation n’empêche pas l’exigence…

Pour démarrer la série « Métaclassique » la première émission était consacrée au thème de l’Attaque. De l’attaque de la note à l’attaque du discours, aussi instantanée soit-elle, la manière d’entrer dans la musique en dit long.

Invités (par ordre d’apparition) : le tromboniste Baptiste Deschamps, le compositeur Gilbert Nouno, le chef d’orchestre Clément Mao-Takacs. Avec la participation d’Omer Corlaix

Le site de l’émission

Extraits choisis

Gilbert Nouno : L’attaque est un des éléments les plus importants de la musique. C’est celui qui inscrit après le silence l’impulsion de la note, de la hauteur ou du bruit. C’est dans ce temps très petit de l’ordre de quelques millisecondes, de 5 à 50 millisecondes, que beaucoup de choses vont s’inscrire et vont pouvoir être développées après, dans la résonance de la note. Finalement, ce que j’ai trouvé de très moderne chez les baroques, c’est la manière dont ils sont des faiseurs de sons.

C’est dans ce temps très petit de l’ordre de quelques millisecondes, de 5 à 50 millisecondes, que beaucoup de choses vont s’inscrire et vont pouvoir être développées après, dans la résonance de la note.

Nous, les musiciens qui nous intéressons à la musique électronique – et donc à la manière de fabriquer aussi des sons avec tout un ensemble de techniques numériques – nous sommes aussi dans la manipulation des éléments qui vont permettre de définir les attaques et les résonances. Les musiciens compositeurs baroques étaient complètement pris dans cet univers et cette matière sonores, encore plus que dans la partie “spirituelle” de la note. C’est vraiment le travail du son. C’est ce qui a permis une redécouverte du baroque. Et beaucoup d’enregistrements baroques sont maintenant faits pour ré-apprécier cette matière sonore.

Gilbert Nouno
Gilbert Nouno © DR

David Christoffel : Parmi les expériences fondatrices de la musique concrète que fait Pierre Schaeffer, il y a la coupe de l’attaque, qui va permettre une expérience acoustique étrange : si l’on retire l’attaque du son d’une cloche, on ne reconnaît plus que c’est une cloche…

Gilbert Nouno : Oui beaucoup de nouvelles expériences ont été faites. Je dirais qu’effectivement la coupe de l’attaque et le fait de pouvoir relire les sons à l’envers sont deux expériences qui sont assez fondamentales pour la musique électro-acoustique et par la suite la musique électronique. Elles vont ouvrir un nouvel univers pour la composition.

 

L’attaque est, pour autant qu’instantanée, un seuil. Le passage de « avant la musique » à « dans la musique » : c’est dire si ce n’est pas “que” un phénomène sonore.

Clément Mao-Takacs : Oui, je crois que l’attaque pose de toute façon la question de ce qui commence, de quand est-ce qu’on commence, de qu’est-ce qui commence. Je crois par exemple que dans le cas du chef d’orchestre, il y a quelque chose de particulier puisqu’il y a une attaque de l’attaque. En fait, il donne des levées, que ce soit en style italien ou en style allemand. En style italien, il dirige en temps réel et il indique un temps avant (pour résumer très très grossièrement ce magnifique métier qui est quand même un art). Il indique donc dans la levée la façon dont il veut obtenir l’attaque, c’est-à-dire à la fois la force ou au contraire la douceur, le caractère, très marqué, ou au contraire complètement estompé. Eventuellement un certain nombre d’autres choses qu’il peut signaler. Ou à l’allemande, c’est-à-dire en impulsant un geste sur le temps même et les musiciens jouent après.

En tout cas, il y a deux attaques si j’ose dire : il y a celle du chef d’orchestre qui précède celle des musiciens eux-mêmes qui vont attaquer le son.

En tout cas, il y a deux attaques si j’ose dire : il y a celle du chef d’orchestre qui précède celle des musiciens eux-mêmes qui vont attaquer le son. Et dans l’attaque des musiciens il y a toute une variété d’attaques absolument phénoménales et que l’on peut résumer un peu grossièrement en disant qu’on peut aller du senza attacca si cher à Ligeti à des attaques vraiment très tranchées, très marquées dont on a d’ailleurs retrouvé un peu le goût, heureusement, grâce à la révolution baroque qu’évoquait Gilbert. Et qui peuvent vraiment permettre de donner à la musique un contraste.

Clément Mao-Takacs
Clément Mao-Takacs © DR

Pour terminer sur la question du seuil, oui, il y a quelque chose qui commence et une notion d’attaque très forte chez les compositeurs. On débute souvent une oeuvre avec un geste fort, et ce geste fort, il attaque dans tous les sens du terme. C’est-à-dire un geste qui peut à la fois agresser l’auditeur, qui peut entrer en contact avec lui, qui peut permettre de commencer un voyage vers un but précis dans le sens grecque du mot attaque. Et puis peut-être tout simplement l’idée que l’attaque c’est le moment où l’on va commencer ensemble à faire quelque chose.

On débute souvent une oeuvre avec un geste fort, et ce geste fort, il attaque dans tous les sens du terme.

Dans Lux Aeterna de Ligeti qu’on vient d’entendre par exemple, on entend bien ce phénomène de senza attacca qui fait que l’auditeur est entraîné dans une sorte de spirale où il écoute la musique mais ne se souvient plus de l’attaque. Le geste de l’attaque n’est pas le plus important ou en fait il est important parce qu’il est infinitésimal et qu’il se confond presque avec le silence. Alors qu’au contraire de cela, on peut avoir une attaque qui va être « de convention » qu’on trouve dans la plupart des opéras, par exemple de Rossini, d’un certain nombre d’opéras baroque, souvent avec ce fameux « Ta tam ! » qui nous dit ça commence, ça y est, c’est parti, le public peut arrêter de discuter, quelque chose a lieu.

 

C’est du design sonore en fait ?

Clément Mao-Takacs : Oui c’est vraiment un gimmick qui est là pour nous dire : “voilà l’Opéra va commencer”. Ça n’a pas de valeur vraiment musicale et a contrario quand un compositeur comme Beethoven dans sa première symphonie décide d’utiliser cela, et va poser un poing sur la table, il utilise ce geste ultra conventionnel. Mais il va commencer, non pas par un accord de tonique, mais par un accord de dominante, donc non pas par la résolution, mais par la question.

La première chose qu’on entend, on ne devrait pas l’entendre alors même que c’est conventionnel. C’est une façon de remplir le conventionnel par quelque chose d’extrêmement signifiant.

Une attaque c’est un point singulier, une rupture qui va permettre une transition.

Gilbert Nouno : Par rapport à ce senza attacca et à toutes ces différences d’attaque possibles évidemment on peut les simuler, les travailler avec l’électronique. Et dans les années 50, que ce soit Pierre Schaeffer ou Stockhausen notamment avec l’attaque staccare et le “contact” de Stockhausen, on est complètement dans cette utilisation de l’attaque même si finalement elle est peut-être quasi inconsciente dans la composition de la musique électronique. Mais elle est bien là et le senza attacca est aussi présent chez Éliane Radigue qui au même moment travaille avec Pierre Schaeffer. Elle est dans une musique de “drone” déjà à cette époque, beaucoup plus de l’ordre de la continuité. Donc cette continuité, c’est un élément important de la musique, comment passer de cette continuité à un point de singularité puisque c’est vraiment cela que ça peut représenter. Une attaque c’est un point singulier, une rupture qui va permettre une transition. Peut-être aussi que cela peut nous emmener aux Transitoires de Boulez dans …explosante-fixe…

 

Mais quand Clément Mao-Takacs dit qu’il y a discours sur l’entrée par la façon d’entrer possible, est-ce que le senza attacca à la Eliane Radigue par exemple n’a pas pour sous-texte « La musique a déjà commencé, tout est déjà musique », ou « il y a déjà de la musique tout le temps, partout » ?

Gilbert Nouno : Il y a une spiritualité sur le cycle qui va apparaître avec toute la symbolique qui est derrière et qui vient avec la musique.

 

Quand Varèse fait intervenir une bande électroacoustique au cours d’une œuvre orchestral, il troue la situation musicale ?

Gilbert Nouno : Oui, et il essaye surtout de projeter un autre médium sonore à l’intérieur du médium acoustique qu’il a travaillé, avec les instruments de percussion et les résonances des vents, et du piano dans une œuvre comme Déserts. Varèse était un véritable amoureux du son et des technologies – qu’il n’avait pas encore pour projeter le son dans l’espace – et je pense que cela met très fortement en relation l’attaque et l’environnement dans lequel se produit cette attaque. Donc cela va lier l’acoustique comme une caisse de résonance des instruments qui jouent. De la même manière que l’on a une sorte de fractalisation du discours du senza attacca dans le déroulement cyclique, on a aussi une sorte de mise en abyme des instruments dans un instrument plus important qu’est l’acoustique de la salle dans laquelle se projette le son.

 

Si l’on revient à Beethoven, l’attaque parle de la musique.

Clément Mao-Takacs : Chez Beethoven, je pense qu’on a affaire à ce qu’on pourrait appeler un génie de l’attaque et pour moi c’est presque la caractéristique principale de Beethoven. Je crois que c’est le compositeur qui peut marquer le plus un auditeur par son attaque. Tout le monde a en tête l’attaque de la 5ème , l’attaque de l’Héroïque, la 1ère symphonie. Quant aux 32 sonates de piano tout le monde ne connaît pas forcément l’intérieur des sonates de piano de Beethoven mais a au moins en tête, leurs attaques. Que ce soit celle de l’opus 111 qui est si magistrale et pourtant ultra conventionnelle. Une septième diminuée, dramatique, tout ce qu’on veut, mais qui marque les esprits parce qu’il y a un dramatisme de l’attaque chez Beethoven.

Chez Beethoven, je pense qu’on a affaire à ce qu’on pourrait appeler un génie de l’attaque.

Et en fait ce qui est assez intéressant, je prends l’exemple de la 3ème, c’est que lui, par le simple fait de redoubler l’accord au début du premier mouvement – presque un geste de musique concrète en fait – redit la chose et du coup l’emphase qui naît de cela va donner à cette attaque une ampleur, une importance, on a deux fois un poing sur la table. Du coup ce génie-là, en fait, il faut le lire à l’envers. Si on enlevait un de ces accords, parce qu’il aurait pu ne faire qu’un accord comme Haydn par exemple, on perd quelque chose. Et pourquoi il n’en fait pas trois, il n’en fait que deux ? Comment lance-t-il sa machine ?

Et c’est systématique, c’est la même chose avec les deux points d’arrêt, les deux point d’orgue dans la 5ème symphonie, il y a quelque chose chez Beethoven, là, qui me semble relever d’un génie de l’attaque.

 

Homme de lettre et de radio, David Christoffel compose des opéras parlés (récemment Echecs opératiques à l'Opéra de Rouen en 2018 et Consensus partium au Festival d'Automne à Paris en 2020), publie des essais sur la musique (La musique vous veut du bien aux PUF en 2018) et produit des émissions de radio, notamment la série Métaclassique.

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