La Bohème à l'Opéra de Monte-Carlo
La Bohème à l'Opéra de Monte-Carlo © 2020 - Alain Hanel - OMC

A Monte-Carlo, le défi de La Bohème

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Cette nouvelle production de La Bohème à l’Opéra de Monte-Carlo, créée en coproduction avec le Royal Opera House Muscat à Oman en octobre 2019, a relevé plusieurs défis.

Mettre à l’affiche un opéra aussi adulé et aussi souvent représenté que La Bohème de Puccini comporte des défis de taille. Pour rendre fraîcheur à la musique et vie aux personnages, il faut disposer d’une distribution tout à la fois jeune et expérimentée, d’un chef d’orchestre attentif à la modernité de la partition, et créer une mise en scène et des décors qui aident à susciter l’émotion et la douleur de ce chef-d’œuvre.

Côté distribution, la Mimi de la soprano russe Irina Lungu était la plus mémorable.  Elle a un timbre chaleureux et une voix naturelle et expressive, qui porte bien, sans forcer. Dans son jeu, elle incarnait parfaitement la grisette simple, naïve et douce. Son amoureux Rodolfo, le ténor espagnol Andeka Gorrotxategi, était moins convaincant, à la fois dans sa production vocale et dans son jeu de comédien. A l’acte III, il explique à Marcello qu’il a quitté Mimi à cause de sa coquetterie, se récusant ensuite pour avouer à son ami que c’est parce que la maladie de Mimi lui fait peur et qu’il espérait qu’en la repoussant, elle choisirait un amant plus riche, qui aurait les moyens de la faire guérir. Or, Gorrotxategi chante tout dans le même registre  et ne marque aucunement le moment où il bascule pour révéler ses vrais sentiments. Par ailleurs, dans les ensembles, la voix de Gorrotxategi, un peu étouffée, était peu audible.

Le reste de la distribution, confié à des chanteurs dynamiques et compétents, ont été très appréciés. Le baryton italien Davide Luciano a été particulièrement applaudi dans le rôle de Marcello. Sa Musetta était interprétée par la charmante soprano italienne Mariam Battistelli. Le baryton russe Boris Pinkhassovitc était Schaunard, et la basse française Nicolas Courjal Colline.

La Bohème à l’Opéra de Monte-Carlo
La Bohème à l’Opéra de Monte-Carlo © 2020 – Alain Hanel – OMC

La mise-en scène de Jean-Louis Grinda situe l’action dans l’après deuxième guerre mondiale, une période marquée par les angoisses du passé et les promesses de l’avenir. C’est un bon choix de transposition temporelle, à condition d’accentuer suffisamment la misère, le froid et les difficultés qu’éprouvent les quatre bohèmes et leurs grisettes ; une détresse qui est la toile de fond nécessaire pour être touché par leur idéalisme, leur joie de vivre, leur liberté et leur amour. Dans cette mise en scène, cependant, la misère et le froid sont trop bénins et aseptisés : la mansarde est spacieuse et lumineuse — presque confortable — avec ses magnifiques verrières donnant sur les toits de Paris ; les personnages sont à peine couverts contre le froid (Mimi dans la première scène est en robe gilet et escarpins ; Rodolfo en complet de velours) ; le manuscrit que Rodolfo jette au feu comme combustible pour se réchauffer est ridiculement mince ; et Marcello a même un apprenti pour l’assister dans sa peinture. Ce ne serait que des détails si les chanteurs avaient communiqué leur détresse par leur jeu, mais ce n’était pas le cas. Le jeu des chanteurs se borne à reproduire des stéréotypes de colocataires chahuteurs et insouciants, plutôt que la complicité profonde d’un groupe de jeunes idéalistes soudés par les difficultés affrontées ensemble.  Par conséquent, le public a du mal à s’investir émotionnellement dans ce qui leur arrive par la suite.

Certains aspects de la mise en scène sont restés opaques, en particulier l’ajout d’un personnage qui ne fait pas partie du livret : un garçonnet (l’apprenti de Marcello ?) qui est présent dans la mansarde à l’Acte I et qui réapparait à la fin de l’opéra, après la mort de Mimi.  Moins énigmatiques, mais tout aussi superflus, les deux jeunes gens accompagnant Alcindoro et Musetta au café Momus. Attablés avec eux, ils sont habillés  dans ce qui semble être des livrées aux couleurs d’Alcindoro : on se demande donc si ce sont des amis, des serviteurs, voire même les fils d’Alcindoro.

La séquence vidéo préparant le dernier acte nous semblait lourde en raison du défilé des noms de chaque mois en superposé sur l’écran et de l’accompagnement de l’image par les tubes de l’opéra enregistrés en arrangement pour piano.

Daniele Callegari a dirigé l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo avec nuance et brio, marquant bien les contrastes, dans les tempi qui passent du frénétique à la langueur. La manière dont il a soigneusement sculpté les phrases dans les violons a contribué à l’effet poignant du dernier acte.

 


La Bohème

Opéra en quatre tableaux
Musique de Giacomo Puccini (1858-1924)
Livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica d’après les Scènes de la vie de bohème d’Henry Murger (1849)

Direction musicale Daniele Callegari
Mise en scène Jean-Louis Grinda
Décors Rudy Sabounghi
Costumes David Belugou
Lumières Laurent Castaingt

Mimì Irina Lungu
Musetta Mariam Battistelli
Rodolfo Andeka Gorrotxategi
Marcel Davide Luciano
Schaunard Boris Pinkhasovich
Colline Nicolas Courjal
Benoît Fabrice Alibert
Alcindor Guy Bonfiglio

SALLE GARNIER, OPÉRA DE MONTE-CARLO

24 janvier 2020 – 20 H 00 (Gala)

26 janvier 2020 – 15 H 00

29 janvier 2020 – 20 H 00

31 janvier 2020 – 20 H 00 (Soirée Jeune Public)

Jacqueline Letzter et Robert Adelson, historienne de la littérature et musicologue, sont les auteurs de nombreux livres, dont Ecrire l'opéra au féminin (Symétrie, 2017), Autographes musicaux du XIXe siècle: L’album niçois du Comte de Cessole (Acadèmia Nissarda, 2020) et Erard: a Passion for the Piano (Oxford University Press, 2021). Ils contribuent à des chroniques de concerts dans le midi de la France.

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