De l’art du rébus en musique
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Le compositeur Nicolas Bacri travaille sur le projet de compléter l’opéra Les Trois Vagues de Charles Bordes (1863-1909), élève de César Franck. Il nous a accordé un entretien sur l’homme et l’œuvre de Bordes, sur le travail de reconstruction de la partition de l’opéra, mais aussi sur certaines visions de la musique dite d’aujourd’hui (dans la première partie de l’entretien publié le 19 janvier).
Jusqu’à peu, Charles Bordes n’était qu’un nom rencontré de temps à autre depuis mon adolescence dans des dictionnaires et livres traitant de l’Histoire de la musique. Je suis quelqu’un de très curieux et me suis toujours intéressé aux compositeurs peu connus. J’ai donc vu assez souvent le nom de Bordes quand je me penchais sur les compositeurs de la Schola Cantorum, sur la musique de Chausson, d’Indy, Magnard, Ropartz, Bréville… Mais j’avais beaucoup de mal à me faire une idée de sa musique, n’ayant pu lire ni entendre aucune partition de lui. C’est grâce à Michel Daudin, directeur artistique de l’association Charles Bordes à Tours, que j’ai pu découvrir, il y a deux ans seulement, les disques de ses mélodies. Ce sont des œuvres qui réunissent tout ce que j’aime dans la musique française, c’est dire l’enthousiasme qui fut le mien lorsqu’il m’a parlé de l’opéra inachevé Les Trois Vagues. J’ai commencé à examiner les manuscrits en me disant que si un compositeur est capable d’écrire des mélodies d’un aussi grand raffinement, il fera peut-être quelque chose de merveilleux avec un opéra. Tout en ayant à l’idée que cela n’est pas automatique, on l’a hélas constaté avec le Corregidor de Hugo Wolf…
Il s’agit d’un travail de reconstruction, qui dépassera de très loin une simple mise à plat musicologique mais respectera le style de l’œuvre esquissée par Bordes. Ce sera donc du Bordes, pas du Bacri. Mais encore, si nous parvenons bien au bout ! Pour l’instant, nous sommes dans les travaux d’approche, devant une partition extrêmement difficile à déchiffrer, avec beaucoup de contradictions d’écriture. Il y a donc, avant de commencer quoi que ce soit de véritablement recréatif, un énorme travail d’interprétation à faire. Cette tâche est principalement confiée à Johann Pouponnot, jeune compositeur et copiste-bibliothécaire de l’Opéra de Paris. Je vais regarder la partition, au fur et à mesure de son élucidation orthographique, pour trancher sur les nombreux problèmes technico-esthétiques que pose cette reconstruction.
En effet. A partir de là, il va falloir travailler sur l’orchestration. Le 2e acte est à orchestrer entièrement ; le 1er acte est achevé mais on constate déjà des fautes de conception dans l’orchestration. Il faut donc tout revoir, et cela laisse à penser que Charles Bordes n’avait pas encore de métier suffisant pour se lancer dans une telle entreprise. Ce n’est pas une critique de ma part puisque j’ai conscience que Berg, lorsqu’il s’est embarqué dans Wozzek avait objectivement trop peu d’expérience de l’orchestre (c’est, du moins, ce que lui avait fait remarquer Schoenberg…), mais cela ne l’a pas empêché d’écrire un chef-d’œuvre… Il y a également la dernière scène qui n’a pas été écrite du tout. Je vais donc m’imprégner de son univers avant de la composer, pour qu’elle soit la suite logique de tout ce qui précède dans l’œuvre… et dans mon travail sur Bordes. Encore une fois, il ne s’agit pas du tout de changer de style ni d’apporter des touches personnelles. Se mettre dans la peau d’un autre compositeur, c’est juste une question de technique !
A mon avis, si Charles Bordes n’avait pas écrit de symphonie, de sonates, de trio ou de quatuor – c’étaient des passages obligés à l’époque pour un compositeur post-romantique – c’est qu’il était non seulement débordé par cette activité de musicologue et d’organisateur de la vie musicale parisienne et régionale qu’il s’imposait, mais aussi qu’il s’est sabordé ! Cela fait beaucoup de jeux de mots pour un seul compositeur, pardonnez-moi, mais il faut bien dire que c’était certainement chez lui une fuite en avant. Bien qu’on ne puisse qu’en reconnaître le bénéfice immense pour le monde musical français, on ne peut aussi que regretter qu’un artiste de cette dimension n’ait pas plutôt consacré l’essentiel de son temps à la composition d’œuvres musicales.
En fait, tout compositeur connaît un peu cela, y compris moi-même. On se dit parfois, quand la pression est trop forte : « Qu’est-ce que je pourrais trouver aujourd’hui pour ne pas composer ? » La composition, c’est notre vie et c’est merveilleux, mais on a parfois envie d’échapper à cette responsabilité. Et cela peut prendre une dimension plus ou moins pathologique. Chez Bordes, cela atteint des proportions presque aussi importantes que chez son ami Duparc… C’est dire ! Je crois que Bordes était complexé par rapport aux « costauds » – c’est son mot – de la classe de César Franck, comme d’Indy ou Ropartz qui pouvaient mener de front diverses activités (dont diriger orchestres et conservatoires…) tout en composant des pièces très ambitieuses avec le plus grand soin. Donc, Bordes a dû se donner des prétextes hautement respectables pour ne pas faire ce qu’il devait faire, c’est-à-dire composer.
Si Charles Bordes, dans sa courte vie, n’a pu tenir toutes les promesses de son immense talent, du moins dans les œuvres publiées jusqu’à présent, il avait un énorme potentiel. Peut-être que son opéra, si nous parvenons à le mettre au monde réellement, va changer la donne. Voyez Bizet, il y a certes le Pêcheur de perles et d’autres pièces comme ses savoureuses symphonies de jeunesse, mais il y a surtout Carmen ; et Carmen lui a suffit pour obtenir cette position qui est la sienne, qui est immense !
Tours, Novembre 2014
* Pour les détails de l’opéra Les Trois Vagues, voir « Charles Bordes et l’opéra basque. Les Trois Vagues, Berteretche : l’envol anéanti » par Damien Top dans le programme des Journées Charles Bordes, 21 et 22 novembre 2014, pp. 16-19.
** Voir le texte de Natalie Morel Borota intitulé « Charles Bordes et la musique populaire des Basques » dans le même programme, pp. 10-13.
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