Tannhäuser
Tannhäuser © Enrico Nawrath

Tannhäuser au Festival de Bayreuth : une distribution remarquable

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Pour cette nouvelle production de Tannhäuser (la 9e depuis le début de l’histoire du festival) le choix s’est porté sur la version de Dresde, dont les différences majeures avec la version dite de Paris portent essentiellement sur la longueur de l’introduction (rallongée d’une bacchanale dans la version de Paris), sur la longueur du rôle de Vénus et des chœurs.

Tannhäuser est une œuvre articulée autour de nombreuses oppositions, notamment celle qui existe entre deux mondes inconciliables, le monde de Vénus (le Venusberg) et le monde d’Elisabeth, ainsi que sur le tiraillement de Tannhäuser entre ces deux réalités. La lecture du metteur en scène Tobias Kratzer s’éloigne à dessein de la vision qui ferait du Venusberg un univers de fantasme, hors du temps, dominé par les plaisirs, opposé en cela à la réalité du monde extérieur.

 

Moyen-âge de carte postale

Le prélude installe le Venusberg dans une atmosphère résolument contemporaine et montre la cavale d’une bande de laissés-pour-compte militants, constituée de Vénus, de Tannhäuser, du travesti Gateau Chocolat (en français dans le texte) et du nain Oskar, évocation de Die Blechtrommel de Günter Grass. Lors du casse d’un fast-food qui tourne mal, Vénus tue un policier en tentant de s’enfuir. C’est la goutte d’eau qui conduit Tannhäuser à vouloir quitter cette vie désormais insupportable. Abandonnant ses compagnons, le poète se retrouve alors propulsé devant le Palais des festivals de Bayreuth, où les pèlerins ne sont autres que des spectateurs se rendant à une représentation de … Tannhäuser. Le deuxième acte est alors centré sur la question de l’artifice et du procédé classique du théâtre dans le théâtre. Nous voici plongés dans un moyen-âge de carte postale, nettement délimité par un cadre lumineux qui circonscrit la « fausse réalité » de la représentation. Au-dessus de la scène, une vidéo nous dévoile les coulisses : Elisabeth sortant de sa loge et se signant avant de rentrer en scène, Tannhäuser se faisant maquiller… Mais Vénus, bien résolue à ramener Tannhäuser dans sa propre réalité, fait irruption dans le Festspielhaus. Elle capture et ligote une choriste pour prendre discrètement sa place sur scène et assister au concours de chant. Cette intrusion apporte un élément comique inattendu dans l’œuvre. Mais c’est finalement l’interpénétration impossible entre ces deux mondes qui va précipiter la fin de l’acte et Vénus parvient à entraîner Tannhäuser hors du cadre de scène dans lequel Elisabeth reste désespérément prisonnière. Le dernier acte nous paraît un peu moins inspiré et place l’action dans une sorte de campement de migrants où Tannhäuser n’accèdera pas à la rédemption et où Elisabeth s’offrira à Wolfram avant de mourir dans une flaque de sang.

La direction de Valery Gergiev, tout en étant très lisible, se contente souvent d’être seulement sobre. Ainsi aux deux extrêmes de la partition, l’ouverture manque terriblement d’ampleur, et le finale, lutte quasi faustienne entre Wolfram et Vénus pour l’âme de Tannhäuser, se trouve complètement privée de son élan et laisse le spectateur sur sa faim. Par ailleurs, prise à un tempo très soutenu, cette scène conclusive fait entendre quelques décalages entre les chœurs et l’orchestre.

 

Lise Davidsen, une révélation

La distribution, en revanche, n’appelle pratiquement que des éloges. Stephen Gould, bien qu’il fasse entendre quelques notes un peu basses à mesure que l’hymne à Vénus est repris chaque fois un peu plus haut, et quelques tensions au dernier acte, se consume sans retenue dans le rôle-titre. Elena Zhidkova possède un timbre assez clair mais une incroyable projection. Sa Vénus présente un caractère quasi agressif dans la tentation, qui évoquerait parfois le personnage d’Ortrud dans Lohengrin. Markus Eiche chante un Wolfram de belle tenue mais il faut tout de même attendre le dernier acte (et notamment la célèbre Romance à l’étoile) avant d’entendre sa musicalité s’épanouir pleinement. Enfin, Lise Davidsen constitue une véritable révélation en scène. Comparaison n’est sans doute pas raison, mais la voix de la soprano évoque sans cesse une ancienne figure incontournable de Bayreuth, Birgit Nilsson, tant par le timbre que par la projection gigantesque. On pourrait espérer çà et là davantage de souplesse, mais l’incarnation est dans l’ensemble assez sensationnelle. De plus, Davidsen est capable de merveilleux allègements, notamment dans le duo avec Tannhäuser au cours de l’acte II.


Tannhäuser
Grand opéra romantique en 3 actes de Richard Wagner
Créé à Dresde en 1845 sur un livret de Richard Wagner

Hermann Landgraf : Stephen Milling
Tannhäuser : Stephen Gould
Wolfram von Eschenbach : Markus Eiche
Walther von der Vogelweide : Daniel Behle
Biterolf : Kay Stiefermann
Heinrich der Schreiber : Jorge Rodríguez-Norton
Reinmar von Zweter : Wilhelm Schwinghammer
Elisabeth : Lise Davidsen
Venus : Elena Zhidkova
Ein junger Hirt : Katharina Konradi
Le Gateau Chocolat : Le Gateau Chocolat
Oskar : Manni Laudenbach

Chœur et Orchestre du Bayreuther Festspiele
Direction : Valery Gergiev

Mise en scène : Tobias Kratzer
Décor et costumes : Rainer Sellmaier
Lumière : Reinhard Traub
Dramaturgie : Konrad Kuhn
Vidéo : Manuel Braun

Palais des Festivals de Bayreuth, 28 juillet 2019

Biberonné à la musique classique dès le plus jeune âge, j’ai découvert l’opéra à l’adolescence. En véritable boulimique passionné, je remplis mon agenda de (trop) nombreux spectacles, tout en essayant de continuer à pratiquer le piano (en amateur). Pour paraphraser Chaplin : « Une journée sans musique est une journée perdue »

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