Vincent Lhermet © Jean-Baptiste Millot
Vincent Lhermet © Jean-Baptiste Millot

Vincent Lhermet : Rameau à l’accordéon ?

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Lauréat de la Fondation Banque Populaire, Vincent Lhermet est accordéoniste. Il est aussi fou de musique baroque française. Comment réunir les deux ? C’est ce dont nous avons discuté, ensemble, à l’occasion de la sortie de son disque de suites de Rameau. Il nous parle également de l’école d’accordéon en Finlande, où il a étudié, et en France, ainsi que des nombreux enjeux de répertoire, entre transcription et création originale, et entre musique populaire et savante.

Rameau à l’accordéon, ce n’est pas si commun…
Effectivement. Et en même temps, quand on parle de Rameau au clavecin, on parle d’œuvres qui sont souvent à deux voix, et c’est ce qui marche à l’accordéon. L’instrument est doté de deux claviers qui sont pratiquement similaires et qui permettent une exécution de ces deux voix de façon précise avec les ornementations. Rameau utilise beaucoup la stéréophonie, cette façon de passer d’un clavier à l’autre qui fascine justement les compositeurs de musique contemporaine à l’accordéon. C’est la raison pour laquelle Rameau marche bien à l’accordéon. Rameau était également un choix personnel : je suis un grand admirateur de l’époque baroque française, depuis que petit j’ai découvert le château de Versailles. C’était donc un rêve de jouer cette musique sur mon instrument.

Pourtant, les instruments que l’on utilisait à l’époque pour jouer Rameau ne permettaient pas beaucoup de nuances, à l’inverse de l’accordéon.
C’est effectivement un instrument à sons entretenus, mais sans résonance, ce qui est dommage. Mais en même temps, ça permet vraiment de faire évoluer les sons et de rendre tout la force de ces dissonances et de ces tensions qu’il y a dans ce langage, ce qu’on retrouve d’ailleurs dans les œuvres orchestrales et lyriques de Rameau.

Rameau… Parce que c’était l’année Rameau ?
Oui : j’étais tombé sur les anniversaires mentionnés sur le site du Ministère de la Culture. Et j’ai décidé de croiser ce regard avec celui de compositeurs contemporains (Tomas Bordalejo, Philippe Hersant, Martin Iddon, Florent Motsch, Mikel Urquiza). Après, libre à eux d’extraire quelque chose ou non des dix pièces pour clavecin que j’avais choisies.

Jouer du Rameau a demandé une adaptation, voire une retranscription ?

On parle souvent de transcriptions à l’accordéon pour qualifier tout le répertoire qui n’a pas été pensé pour l’accordéon. Mais chez Rameau, il n’y a aucun travail de réécriture à faire : nous jouons la partition telle qu’elle a été écrite. La seule chose qui varie, à la limite, c’est la longueur de la note pour éventuellement faire ressortir une voix.

Même pas besoin d’adapter le tempo ?
L’accordéon est un instrument virtuose par nature, ce qui explique sa popularité, d’ailleurs. C’est pour cette raison que certains compositeurs aujourd’hui vont à contre-courant, pour ne pas alourdir le répertoire virtuose de l’accordéon et donner autre chose à entendre.

Et pour l’interprétation ? Comment aborde-t-on un répertoire connu sur un instrument inhabituel, sans l’appui d’une certaine tradition d’interprétation derrière ?
C’est sûr qu’on n’enregistre pas ce répertoire en prétendant avoir accès à une lumière divine ! [rires]. C’est un répertoire que j’écoute depuis que je suis tout petit. J’avais cinq ans quand j’ai découvert Lully. Même si ce n’est pas tout à fait pareil, il y a ce style français qui est déjà présent dans mon esprit. Et puis j’ai joué beaucoup à des musiciens baroques, parce que c’est toujours intéressant d’avoir un point de vue extérieur. Ce qui est formidable chez ces musiciens qui recherchent une espèce d’authenticité d’exécution, c’est une très grande ouverture d’esprit. Il n’y avait pas ce rejet de l’instrument comme on peut parfois retrouver dans d’autres écoles, mais plutôt l’envie d’interpréter le matériau musical pur. Ce qui importe, c’est comment conduire les lignes, comment on exécute les harmonies : si ça marche, l’instrument est de toute façon au second plan. L’idée de timbre, en musique, est quelque chose qui vient un peu plus tard. Ce qui était formidable, c’est qu’ils m’ont donné toute légitimité pour varier les longueurs de notes et ainsi compenser ce que le clavecin ne pouvait pas faire !

Quel est le sujet de votre thèse ?
« Un regard sur la création musicale pour accordéon en Europe depuis 1990. » Cela suppose la réalisation d’un catalogue des œuvres en collaboration avec Fanny Vicens, d’étudier le regard sur l’évolution de la façon dont les compositeurs écrivent pour l’instrument et comment ce répertoire est diffusé dans le monde de l’accordéon.

Il existe une tendance un peu globale, un phénomène d’école ?
Non, c’est multiple. C’est un instrument caméléon qui permet de faire tellement de choses que l’on retrouve des utilisations de l’instrument complètement opposées : nous pouvons avoir une vision de l’accordéon un peu « machine », très virtuose et presque électronique, un peu « orgue », avec des grands espaces et des grandes sonorités, un peu « effacé », que l’on entend presque pas et où on assiste à la naissance des sons.

Reprend-on le répertoire populaire pour en faire des compositions savantes ?
Enormément. A l’origine, avant l’engouement de masse des compositeurs contemporains pour l’accordéon, les accordéonistes, notamment en Russie, ne perdaient pas de vue l’utilisation de thèmes populaires avec des arrangements et des variations. Dans le répertoire d’aujourd’hui, on utilise presque ironiquement des citations de musique populaire, y compris dans les titres (comme Franck Bedrossian qui donne le terme « Bossa Nova » comme titre, alors que la danse n’est pas du tout reconnaissable dans le morceau). Ce nouveau temps détourne la popularité pour en faire autre chose, c’est un peu le chien andalou.

Détournement de répertoire… Détournement de public également ? Evolue-t-il ?
C’est une question délicate : le public est encore à construire. Il y a déjà ce public qui est en recherche d’une sorte de popularité, le public accordéoniste et historique qui est resté dans une idée de l’instrument virtuose et de divertissement. Mais j’ai fait plusieurs concerts avec un programme de musiques nouvelles dans les campagnes : avec aucune concession sur le choix des œuvres, mais avec une présentation au public entre chaque pièce. Le public est finalement heureux d’avoir découvert quelque chose, et il est pris dans une écoute active.

Vous vous produisez souvent en accordéon seul ?
J’adore la musique de chambre : c’est un instrument qui se marie avec tout, notamment avec les cordes (violon ou violoncelle), avec la clarinette (ce sont deux instruments à anches, aux timbres similaires), les percussions. Ce qui marche très bien, c’est clarinette / violoncelle / accordéon : il existe de superbes pièces que le public ne connait pas forcément, en tout cas moins que violon / violoncelle / accordéon, qui est une sorte de dérivé de trio avec piano. L’Art de la Fugue est parfaitement adapté, d’ailleurs.

Parmi les compositeurs savants qui ont également composé pour l’accordéon, quelques noms vous viennent à l’esprit ?
Parmi les compositeurs très connus, il y a Sofia Goubaïdoulina, qui a écrit un très beau solo De Profundis en 1978, il y a Luciano Berio avec sa Sequenza XIII, et puis chez les Français, Bruno Mantovani, qui a écrit un solo virtuose, Huit minutes vingt chrono, Gérard Pesson, avec son duo avec alto Peignez le vif. Lorsque j’ai préparé le catalogue des œuvres pour ma thèse, je me suis rendu compte qu’il y avait plus de 9000 œuvres de compositeurs savants, ce qui permet de jouer d’autres compositeurs que les compositeurs accordéonistes. Le répertoire se développe de façon exponentielle et les accordéonistes gagneraient à connaître encore mieux le répertoire contemporain.

Vous avez fait vos études à l’académie Sibelius, à Helsinki. Quelles sont les différences majeures entre l’enseignement de l’accordéon en Finlande et en France ?
Là-bas, l’accordéon est un instrument d’origine populaire et qui a subi les mêmes difficultés qu’en France, même si l’accordéon musette semble nous avoir défavorisés en France. Il y avait ces mêmes réticences dans les deux pays de jouer, dans les années 70, des œuvres atonales. La différence, c’est que les accordéonistes nordiques ont su convaincre, un peu plus tôt que chez nous, les compositeurs d’écrire pour eux, ce qui a provoqué un engouement pour l’instrument. En 1977, à l’Académie Sibelius, le directeur a interdit qu’on joue des arrangements : cela a considérablement soutenu la création musicale pour accordéon. En France, depuis les années 2000, on a rattrapé notre retard : l’accordéon est devenu un instrument d’ensemble à part entière, ce qui n’existe pas autant dans les pays nordiques. En revanche, l’enseignement est beaucoup plus uniformisé en Finlande, où l’on a construit un répertoire précis pour chaque niveau ; en France, tout est beaucoup plus opaque, on n’arrive pas à évaluer le niveau des jeunes accordéonistes d’un conservatoire à l’autre.

Comment la Fondation Banque Populaire vous a-t-elle aidé ?
J’ai postulé juste après mon master. J’étais en Finlande et je voulais revenir en France pour faire un doctorat au CNSM : cela tombait à pic. C’est un soutien financier, bien sûr, mais également un moyen de rencontrer d’autres musiciens : j’ai créé plusieurs ensembles de musique de chambre grâce aux rencontres que j’ai faites en concert. C’est aussi une aide humaine : on nous aide à trouver les bons contacts, les bonnes personnes, c’est un véritable accompagnement, très spécifique à la Fondation.

En Finlande, c’est différent ?
Oui, il y a beaucoup de fondations privées qui soutiennent des individus qui proposent un projet. En France, c’est souvent beaucoup plus compliqué et il faut généralement être une association. La Fondation Banque Populaire est l’une des seules à proposer une aide aux individus. Ce que je regrette, c’est qui n’y ait pas ici d’aide à la commande : quand de jeunes interprètes veulent commander une œuvre à un compositeur, ils devraient pouvoir être aidés financièrement. Actuellement, si un interprète a envie de créer, il ne sait pas où s’adresser.

Un mot pour les jeunes musiciens ?
J’entends beaucoup de pessimisme autour de moi. Et pourtant, je crois que notre pays soutient beaucoup la pratique musicale, même s’il faut continuer à se battre pour ça, et qu’il faut puiser dans notre créativité pour conserver l’enthousiasme de la musique. L’accordéon, c’est un instrument pluriel, qui garde son côté populaire, c’est un poumon qui respire. Les passionnés qui maîtrisent la technique de l’instrument, je les encourage pleinement à continuer !

 

Pour en savoir plus sur la Fondation Banque Populaire :

Le site de la Fondation Banque Populaire

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