Yerzhan Kushanov © DR

Entre France et Kazakhstan, le flûtiste Yerzhan Kushanov

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Yerzhan Kushanov est un jeune flûtiste originaire du Kazakhstan, venu en France pour étudier au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris. Il est lauréat de la Fondation Banque Populaire et de nombreux concours internationaux, en particulier le Concours International du Jeune Flûtiste, dont il a obtenu le Premier Prix.

 

Vous êtes originaire du Kazakhstan, quelle est la place de la musique classique dans votre pays ?

Actuellement au Kazakhstan la culture est en plein essor. S’agissant d’un pays appartenant à l’ancienne Union soviétique, une culture musicale classique y existe depuis déjà au moins 100 ans. La musique classique est donc très liée à l’école russe et aux compositeurs russes, mais maintenant elle est devenue très populaire.

Dans toutes les villes du pays on trouve des orchestres et des salles de concert, comme à Almaty, ma ville natale, où il y a cinq formations symphoniques et à cordes. Malheureusement le niveau n’est pas le même que celui des grandes formations internationales comme la Philharmonie de Berlin ou l’Orchestre de Paris, car peu de gens ont eu la chance de faire leurs études à l’étranger et recevoir une éducation musicale de haut niveau.

 

Comment fonctionne le système de financement de la culture au Kazakhstan ?

Le gouvernement aujourd’hui soutient énormément les musiciens, mais pour accéder à cette aide, un artiste doit montrer son excellence, que ce soit en gagnant des concours internationaux, en jouant dans des salles prestigieuses, en menant une activité de recherche sur le répertoire ou sur des compositeurs, ou en faisant des enregistrements.

Ensuite, des institutions comme l’Opéra d’Astana, fonctionnent grâce à un mélange entre financements publics et sponsors, ce qui permet à ce dernier de disposer d’un des meilleurs orchestres du Kazakhstan. L’opéra offre de très bonnes conditions pour les musiciens et propose des appartements de fonction pour les accueillir avec leurs familles.

Il existe également une bourse qui s’appelle « Bolashak » (qui signifie « futur »), qui donne aux jeunes la possibilité de se former à l’étranger en couvrant tous leurs frais. En échange, le gouvernement demande aux boursiers de revenir au Kazakhstan et s’engager à y travailler ou y enseigner, pendant au moins 5 ans.
3000 bourses sont octroyées par an, dans tous les domaines, de la musique, à la science, au droit, etc…
De mon côté, j’ai choisi de ne pas la demander, car je préfère d’abord rester à l’étranger pour me concentrer sur ma carrière (avec les concours et les récitals etc…) et rentrer plus tard dans mon pays en apportant alors ma contribution au développement des Arts.

Car votre rêve est de monter un orchestre dans votre pays…

Oui ! Mon but à long terme est de créer un orchestre symphonique Franco-Kazakh de haute qualité qui fasse aussi le lien entre les deux pays.
Les artistes qui ont des projets de ce type sont très recherchés, comme le violoniste Marat Bisengaliyev qui, après ses études à la Royal Academy de Londres, a fondé un orchestre à cordes, par ailleurs, basé à Almaty.

 

Qu’est-ce qui vous a poussé à venir en France?

J’ai toujours rêvé d’étudier en France car l’école française est la meilleure école du monde pour les instruments à vent, tout particulièrement pour la flûte. Le Kazakhstan a toujours privilégié le piano et les instruments à cordes, dont l’enseignement est en conséquence beaucoup plus développé par rapport aux autres instruments.

 

Quelles sont les différences dans l’enseignement musical entre France et Kazakhstan ?

Les différences sont remarquables : en France c’est très structuré, tandis qu’au Kazakhstan il n’y a pas de vrai système.
En France, où j’ai étudié avec Sophie Cherrier et Vincent Lucas, la parfaite maîtrise de l’instrument est essentielle pour pouvoir ensuite en explorer l’expressivité.
Il faut, par exemple, savoir changer la vitesse de l’air et le mode d’attaque, utiliser les différentes couleurs du son, mais aussi réfléchir aux partitions et bien connaître la musique, en prêtant attention à chaque élément, car tout se joue sur les détails. On n’apprend donc pas à être instrumentiste, mais à être musicien.

Après avoir gagné plusieurs concours au Kazakhstan, en Russie et en Israël, vous avez été le premier musicien kazakhstanais à être sélectionné pour le Concours international du Printemps de Prague en 2015. Pourriez-vous nous en parler ?

J’en suis très content. A Prague je suis arrivé 6ème, et cela a été une très belle satisfaction, car il y avait tout de même 220 candidats, de 42 pays différents !
Préparer des concours est très important, cela permet de se faire un nom et de jouer sur de grandes scènes. On rencontre beaucoup de gens, c’est une très belle opportunité. Les concours m’ont aussi permis d’avoir des engagements et surtout chacun d’eux m’aide à préparer les suivants.

 

Vous êtes en effet en train de préparer le prestigieux Concours International de Flûte de Kobe…

Oui. Au début je comptais participer à deux concours, mais finalement j’ai décidé de me concentrer uniquement sur celui-ci, qui est le plus important.

 

Finalement il y a très peu de concours prestigieux pour flûte…

En effet et les gens sont peu habitués à écouter la flûte en soliste, à la différence du violon, du violoncelle, du chant et du piano.
La flûte n’a pas la même histoire que les autres instruments, comme le piano, dont la facture a bénéficié de plus de cent ans de développement ! Mais les choses ont changé, la facture de l’instrument a évolué et permet d’obtenir plus de richesse dans les couleurs. Les flûtistes ont également perfectionné leurs techniques et le répertoire s’est beaucoup développé. Pensez que Prokofiev a été obligé d’écrire une version de sa Sonate pour flûte et piano en version pour violon et piano, car à l’époque il n’y avait aucun flûtiste de haut niveau, capable de le jouer. Les choses ont bien changé !
Le répertoire s’élargit donc de plus en plus, non seulement avec les transcriptions, mais aussi dans la création.

 

En 2016 vous êtes devenu lauréat de la Fondation Banque Populaire. Comment avez vous décidé de candidater ?

J’ai connu la Fondation grâce à sa réputation. La liste des lauréats est impressionnante : Renaud Capuçon, Nicholas Angelich, Betrand Chamayou, Juliette Hurel, Florent Héau, etc…
J’ai donc vu qu’il y avait cette opportunité et j’ai tenté ma chance !

 

Quel projet avez-vous présenté à la Fondation ?

Tout en préparant des concours internationaux, j’ai proposé de réaliser des transcriptions et des arrangements pour flûte d’œuvres de l’époque romantique car on n’a presque rien de cette époque pour l’instrument.
J’ai commencé par la Sonate de Brahms, et ensuite ce sera le tour de la Sonate pour violon de Fauré et du Konzertstück pour clarinette de Schumann, dans le but de faire un enregistrement.

 

Être lauréat, qu’est-ce que cela vous a apporté ?

D’abord, l’aide financière m’a permis de me concentrer sur la musique. Ensuite j’ai pu faire de belles rencontres et jouer dans des festivals à Valenciennes et à Uzerche. Je suis sûr que cela m’apportera d’autres opportunités à l’avenir !

Tout à fait dans l’air du temps, vous avez développé votre chaîne Youtube. Comment ce média vous a-t-il aidé dans votre carrière?

Quand j’ai créé ma chaîne Youtube, c’était uniquement pour le plaisir, mais au fil du temps, vu le nombre de visites sur le site,  je me suis rendu compte de son potentiel. Nous sommes dans l’ère du numérique et maintenant, quand on me propose un concert il faut fournir le lien à mes vidéos, pour donner l’idée de qui je suis et de comment je joue. C’est devenu un vrai outil professionnel.

 

Quelles sont les esthétiques musicales qui vous attirent le plus ?

J’aime énormément la musique romantique, je joue beaucoup de Lieder de Schumann avec une amie pianiste. Je trouve que ce répertoire pose moins de limites à l’expression, comparé à celui de Mozart ou de Bach où il y a un cadre et des règles plus strictes.

 

Quels sont vos projets ? Songez-vous à valoriser les compositeurs Kazakhs ?

Je n’ai pas encore réfléchi à cela. Mais il est vrai qu’il existe une musique traditionnelle très riche, à côté de compositeurs intéressants, surtout des jeunes, à mettre en avant.
Pour le reste, j’aimerais continuer à voyager et donner des concerts : la musique avant tout !

 


La chaîne Youtube de Yerzhan Kushanov

En savoir plus sur la coopération culturelle franco-kazakh

Parallèlement à sa formation en chant lyrique, Cinzia Rota fréquente l'Académie des Beaux-Arts puis se spécialise en communication du patrimoine culturel à l'École polytechnique de Milan. En 2014 elle fonde Classicagenda, afin de promouvoir la musique classique et l'ouvrir à de nouveaux publics. Elle est membre de la Presse Musicale Internationale.

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